loup
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : environ 1 100 loups peuplent actuellement le territoire français. Ils se sont implantés de manière pérenne dans 56 départements. La hausse de la population lupine a également eu un impact sur les attaques qui se sont multipliées ces 15 dernières années : 1 081 en 2010, plus de 4 000 fin 2023, soit un quadruplement en l'espace de 13 ans. Mais au-delà des attaques et des indemnisations, l'impact psychologique sur les éleveurs et les bergers reste encore peu étudié.
Quand un éleveur vient à tuer un loup, même en état de légitime défense, il se retrouve devant les tribunaux pour destruction d'espèce protégée.
© Crédit photo : Actuagri
"La souffrance des professionnels reste un angle mort", explique Antoine Doré, sociologue et auteur d'une étude en 2022, intitulée 'Face au loup'1, avec son collègue, Frédéric Nicolas. En effet, la réaction à une attaque de troupeau dépend d'un très grand nombre de facteurs : l'histoire personnelle de l'éleveur, les circonstances de l'attaque, les soutiens amicaux et moraux, etc. "Certains éleveurs peuvent être victimes de plusieurs attaques et être résilients, parce qu'ils conservent malgré tout un sentiment de maîtrise de la situation, quand d'autres s'effondrent psychologiquement dès la première attaque, car ils se sentent impuissants et débordés, et qu'ils ont du mal à donner du sens à la situation", a-t-il indiqué.
L'entourage joue aussi pour beaucoup, même si "le sentiment de solitude et d'isolement peut être réel quand on est entouré", car être entouré ne veut pas dire forcément "compris".
La vulnérabilité liée au loup - il n'existe pas d'études sur celle liée à l'ours - est donc plurielle et diverse. La perception que les bergers (bergères) et éleveurs (éleveuses) peuvent ressentir la présence du loup, qu'il y ait attaque ou non, est aussi dépendante de leur place dans le groupe et la société. C'est ainsi qu'un "troupeau attaqué peut être perçu comme un troupeau mal protégé, et donc, comme une faute professionnelle", ce qui vient "à remettre en cause les compétences", souligne Antoine Doré.
Pis. Le fait de toucher des indemnisations peut aussi renvoyer à l'image d'un métier d'assisté, et les incidents que les chiens de protection peuvent parfois causer aux populations de touristes font entrer les éleveurs et bergers dans un cycle juridique infernal. C'est souvent le sentiment d'incompréhension qui domine chez eux, car leurs chiens de protection sont financés en partie par l'État et ils se retrouvent malgré eux devant les tribunaux... de l'État.
Quand un éleveur vient à tuer un loup, même en état de légitime défense, il se retrouve devant les tribunaux pour destruction d'espèce protégée. "Sans le demander, il bascule dans la sphère de la délinquance", explique Ludovic Martin, consultant, qui a notamment étudié les facteurs de risques pouvant affecter la santé des éleveurs pastoraux transhumants et des bergers. "Le fait de passer au tribunal entre un dealer et un délinquant routier peut contribuer à renforcer leur fragilité psychologique", a-t-il affirmé.
L'effet du loup s'invite également dans la sphère intime et familiale, en particulier pour les enfants de bergers et d'éleveurs, parfois stigmatisés sur les bancs de l'école.
Cette perception d'isolement et ce sentiment d'impuissance peuvent s'amplifier au sein même des relations professionnelles. "Le loup a un effet clivant sur les groupes sociaux", pointe Antoine Doré, expliquant que les élus agricoles (syndicats, Chambres d'agriculture...) sont souvent en première ligne et qu'une prise de position contre le loup peut les exposer à des critiques, en direct ou par le biais des réseaux sociaux. "Certains élus ont été mis au ban d'un groupe pour avoir participé au Groupe national loup."
D'autres éleveurs ovins ont même été menacés de mort par des ONG environnementalistes, témoigne un ancien élu de la Chambre d'agriculture de l'Aveyron. Sans oublier la pression exercée sur les éleveurs par les associations protectrices du loup, et les effets indirects et symboliques du loup sur la santé en général.
"Nous menons en région Paca une réflexion sur les logements de bergers en estive, afin de définir une stratégie d'actions coordonnée entre les MSA Provence Azur et Alpes-Vaucluse", détaille Axelle Dorion-Garino, directrice-adjointe à la MSA Provence Azur. Le travail devrait être finalisé à l'automne.
En parallèle, la MSA Alpes-Vaucluse organise des formations à destination des bergers (lire ci-avant), portant sur la préparation avant montée en estive, la gestion des conflits, le secours en montagne...
Loup
Le tribunal administratif de Toulon a annulé un arrêté préfectoral qui autorisait des tirs contre le loup pour protéger un troupeau de brebis dans le Var, a appris l'AFP auprès du tribunal le 27 juin. En novembre 2022, le préfet du Var avait autorisé un éleveur d'un Gaec situé près du camp militaire de Canjuers à effectuer des "tirs de défense renforcée", pour protéger son troupeau d'environ 650 brebis. L'association de défense des animaux One Voice avait demandé l'annulation de cet arrêté. Dans le jugement, consulté par l'AFP, les juges ont considéré qu'il n'est pas démontré que "des mesures de protection effectives et proportionnées auraient été prises pour défendre le troupeau", alors que ces mesures sont obligatoires, avant que le préfet puisse délivrer une autorisation de tir. Un diagnostic de vulnérabilité réalisé en 2021 par le Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (Cerpam) préconisait l'installation d'aménagements pastoraux ou encore l'amélioration du "travail des chiens de protection" dans cet élevage. Des recommandations qui n'auraient pas été mises en œuvre, selon le jugement. Dans une affaire similaire, le tribunal administratif de Besançon a aussi annulé, mi-juin, deux arrêtés de tir.
santÉ
Face à la prédation du loup, des leviers sont activés pour venir en soutien des bergères et bergers. Rencontre avec Nicolas Prat, conseiller en prévention des risques professionnels à la MSA.
La MSA Alpes-Vaucluse a organisé des formations à destination des bergers, en particulier sur la gestion des conflits en lien avec leur activité de pastoralisme, avant la montée sur les estives.
© Crédit photo : Aleksandar Georgiev
Quelle est la genèse du travail mené envers les éleveurs et les bergers concernant la prédation ?
Nicolas Prat : "Les équipes du service 'Santé sécurité au travail' de la MSA accompagnent les exploitants et les salariés agricoles à travers des actions collectives ou individuelles : conseils, informations et formations sur la prévention des risques professionnels et l'amélioration des conditions de travail, suivi médico-professionnel... Sur l'élevage et le pastoralisme, le besoin d'accompagnement des éleveurs et des bergers, notamment face à la prédation, est remonté via une élue de la MSA Alpes-Vaucluse, fin 2020-début 2021, confortée par des associations, en particulier l'Association des bergères et bergers en alpages et systèmes pastoraux (ABBASP). Le besoin identifié, le service a donc mené des actions spécifiques."
Concrètement, de quoi s'agit-il ?
N.P. : "Vers les éleveurs et les groupements pastoraux, nous avons organisé des journées de forma- tion/information pour les employeurs, aux printemps 2022 et 2023, en partenariat avec les Directions départementales des territoires, le Cerpam, l'inspection du travail et les FDSEA. L'objectif était de les aider et de les informer sur leurs droits et leurs devoirs en tant qu'employeurs, dont le recrutement, l'embauche - via notamment la réalisation et la mise à jour du Document unique d'évaluation des risques, les formations des salariés, le déroulement et la fin de l'estive. Une soixantaine d'éleveurs y ont participé. Nous avons également mis en place des formations sur la manipulation et la contention des animaux (ovins, bovins), en insistant plus spécifiquement sur des rappels concernant le comportement naturel des animaux, les difficultés éventuelles rencontrées dans le travail (embarquement, soins...), avec des exercices pratiques sur les manipulations et les interventions fréquentes sur l'animal (tri, travail sur barrières, couloir de contention, parage...). Nous avons également participé à la réalisation du film 'Rasco et nous'1, sur les chiens de protection des troupeaux, avec l'Institut de l'élevage."
Et plus spécifiquement vers les bergers ?
N.P. : "Le travail a surtout porté sur l'organisation de journées sur la gestion des chiens de protection des troupeaux, en 2021 et 2023. Réalisées en partenariat avec l'Idele, ces formations donnaient des éléments aux bergers pour gérer ces chiens au quotidien - qui ne leur appartiennent pas forcément et qu'ils ne connaissent pas -, mais aussi le multi-usage en montagne et les relations avec les autres usagers. Environ 45 bergères et bergers y ont participé. Nous avons également mis en place des journées sur la sécurité en montagne, de 2022 à 2024, avec un guide de haute montagne qui a donné aux participants un certain nombre de clés pour limiter les risques pris dans les pratiques de garde en montagne : anticipation et préparation, lecture du paysage, identification des zones à risques, apprendre et évaluer la prise de risque..."
Les chiens de troupeau sont aujourd'hui source de conflit avec les autres usagers de la nature. Comment appréhender cette évolution ?
N.P. :"Pour répondre à cela, nous avons mis en place des journées sur la gestion des conflits en 2024, qui ont rassemblé dix participants. Dans ce cadre précis, l'idée était de leur donner des clés pour apprendre à identifier les conflits, les anticiper, les éviter et les désamorcer au plus tôt. Ces formations sont proposées à tout adhérent de la MSA Alpes-Vaucluse, c'est un service qui est prépayé par les cotisations des adhérents. Elles sont accessibles en contactant le service'Prévention des risques professionnels' au 04 92 40 11 65. La MSA Provence Azur développe également des formations en lien avec ces thématiques."
bouches-du-rhône
Stress, fatigue, colère... Il s'en passe des émotions dans la vie d'un éleveur, confronté à la pression de la prédation durant plusieurs mois de l'année en montagne ! Jeune éleveur ovin sur Maussane-les-Alpilles, Antoine Juglaret témoigne de son quotidien.
L'été, Antoine Juglaret mène un troupeau de 2 200 brebis et un second de 1 500 brebis, pour 4 chiens par troupeau.
© Crédit photo : AJ
Antoine Juglaret, 30 ans, est issu d'une famille d'éleveurs. Une bonne partie de l'année, associé avec son père et son frère, il se consacre à la production de foin de Crau et au pâturage de ses brebis, dans les prairies de l'exploitation familiale située sur Maussane-les-Alpilles et Mas-Thibert. L'été, ses animaux partent dans les montagnes savoyardes. Et pour conduire leurs troupeaux, la famille fonctionne alors par le biais d'un groupement pastoral.
Durant les estives, le cheptel atteint ainsi environ 4 000 bêtes, avec les agneaux. Les premières brebis montent dans les alpages entre le 5 et le 10 juin, et les dernières redescendent début novembre, avec les premiers frimas de l'automne.
Et comme la plupart des éleveurs transhumants, quand Antoine est 'là-haut', le loup accapare la plupart de ses pensées.
L'éleveur connaît bien la pression de la prédation. "Durant l'été, elle est quotidienne. Et même l'hiver elle est toujours là, puisque le loup s'est implanté en Crau et dans les Alpilles depuis quelques années maintenant."
Antoine fait partie de cette génération d'éleveurs qui a toujours connu en montagne le risque lié aux attaques de loup. Habituellement, il peut s'appuyer sur un berger et son aide-berger pour surveiller et conduire le troupeau. Mais, l'année dernière, il a dû - pour diverses raisons - passer l'été seul en montage avec ses 2 200 brebis ! Qui plus est, la cabane pastorale est isolée par rapport au troupeau.
"C'était un stress supplémentaire, et il a bien fallu faire confiance aux chiens", explique l'éleveur, à qui il est arrivé de dormir à côté des brebis. "J'ai passé la formation pour disposer du tir de défense renforcée pour protéger le troupeau. Mais quand vous travaillez la journée et que vous passez la nuit aux pieds des brebis, ça va deux-trois jours. Mais après, cela devient difficile de suivre" et de rester attentif et réveillé. Surtout que les attaques peuvent survenir en première ou dernière partie de nuit...
De toute façon, attaques ou pas, les nuits sont toujours trop courtes en estives. En effet, les chiens aboient en général jusqu'à minuit-une heure du matin. "Dès qu'un chien aboie, vous vous réveillez... ce n'est pas viable. Il est clair que si la menace n'était pas là, on dormirait mieux la nuit", admet Antoine Juglaret.
L'éleveur reconnaît néanmoins qu'il a encore le bénéfice de l'âge face à la pression du canidé : quand la saison arrive, il n'a pas l'appréhension des transhumances, toujours content d'aller en montagne avec les bêtes. Mais il comprend que, "pendant longtemps, les éleveurs étaient vraiment démunis. Aujourd'hui, il y a un peu plus de moyens qu'avant de faire face au loup, comme les tirs de prélèvements par exemple. Encore faut-il bénéficier des autorisations et 'subir' trois attaques sur le troupeau pour pouvoir déclencher le tir de défense renforcée".
Car malgré son jeune âge, l'éleveur a déjà subi plusieurs attaques et utilisé son droit de défense. Il ne s'en cache pas. L'année passée il a, par exemple, fait face à une attaque fin août sur ses deux troupeaux, alors que la neige venait de tomber.
S'il faut défendre son troupeau, il le refera. Et à chaque fois que cela arrive, Antoine ressent de la colère, même si, quand il faut redescendre des montagnes, elle s'estompe un peu. Reste que vivre avec cette pression latente est très pénible au fil des années. "Parce qu'au-delà de la pression que la présence du loup génère, il faut gérer au quotidien le stress des brebis, l'avortement des mères, la crainte des randonneurs à cause des patous, celles des bergers aussi. Quand le téléphone sonne en montagne, il y a toujours cette appréhension qu'un berger vous informe d'une attaque. Vivre avec la pression de la prédation dans ces conditions n'est plus possible. La meilleure solution serait que le loup disparaisse", confie Antoine.
Cette année, le loup- pourtant bien présent en estive du côté de la vallée de la Tarentaise, à Bourg-Saint-Maurice- n'est pas venu rôder autour de son troupeau. L'éleveur touche du bois.
Vaucluse
À l'inverse de certains éleveurs régulièrement prédatés, les bêtes de Christian Vachier-Moulin et de ses enfants ont assez rarement été attaquées. Mais les deux fois où la situation s'est présentée, près de 40 bêtes ont été tuées, blessées ou disparues, à chaque attaque. Aujourd'hui, la menace est constante et lourde en conséquence.
Adrien, Laura et Christian Vachier-Moulin, éleveurs du Gaec 'Lou Jas' à Vitrolles- en-Luberon, ont subit une attaque le mois dernier sur les crêtes du Grand Luberon. Une quarantaine de bêtes ont été tuées, blessées ou ont disparu.
© Crédit photo : C. Vachier-Moulin
Christian Vachier-Moulin a été éleveur de brebis toute sa vie. Une passion qui l'a toujours suivi et qui continue de l'animer, bien qu'il ait aujourd'hui passé la main à ses enfants, Laura et Adrien. Situé à Vitrolles-en-Luberon, le Gaec 'Lou Jas' compte à ce jour 400 brebis. Comme pour beaucoup, la présence du loup en Vaucluse a changé leur vie. "Quand ils ont commencé à travailler sur l'établissement de zones Natura 2000 sur espaces de pâturages dans le Grand Luberon, nous avions fait remonter que le loup ne faisait pas partie de l'habitat. Mais ça n'a pas été pris en compte à l'époque", se souvient l'éleveur. Résultat ? Aujourd'hui, l'animal est résolument bien implanté.
"Comme tout le monde, ça fait des années qu'on se prépare aux attaques sur nos troupeaux", note Christian Vachier-Moulin. Et pourtant, même chez lui les attaques sont arrivées. Même avec des chiens. Même avec un berger. La première attaque intervient il y a quatre ans, en mai, alors que le troupeau était gardé en parcours : "À l'époque, on avait pris un chien de protection et il y avait un berger. La nuit est passée, et le lendemain, il s'est aperçu que les bêtes avaient été séparées. On en a retrouvé certaines à des endroits où elles n'allaient jamais, parce que peu accessibles". Il témoigne du comportement inhabituel de ses animaux, et se rappelle en avoir perdu une quarantaine.
Le mois dernier, le scenario se répète. Sur les crêtes du Grand Luberon où ses unités pâturent avec celles d'un autre éleveur, l'attaque survient après un orage et du brouillard. "De notre côté, le berger n'a rien vu et ne se rend pas immédiatement compte qu'il y a un problème, puisque les chiens n'alertent pas ; le berger de l'autre unité estime, lui, avoir vu passer les prédateurs plusieurs fois", développe Christian Vachier-Moulin. "Avec six chiens de protection, on pensait qu'on continuerait à passer à travers. Mais en réalité, on n'a pas le droit à la moindre erreur, pas même naturelle avec l'orage comme ça a été le cas cette fois. Le loup sait très bien tirer parti des éléments", poursuit-il.
Une quarantaine de bêtes sont impliquées dans ce nouvel incident. "On élève des bêtes, mais quand on voit l'hécatombe... Il y a celles qui sont vidées, celles qu'on ne trouve pas, mais aussi toutes celles blessées, le coût des soins qui ne permettront pas toujours de les sauver... On n'élève pas nos bêtes pour les voir souffrir."
Christian pensait avoir fait tout son possible pour l'éviter, notamment avec les chiens. Mais eux aussi représentent une charge de travail supplémentaire.
"On nous les a imposés avec la présence du loup. Mais s'il y a un quelconque problème, nous sommes livrés à nous-mêmes et à nous de nous débrouiller", regrette-t-il. Non seulement les difficultés avec les promeneurs se multiplient, mais il craint également la chute d'un vététiste qui prendrait peur ou tout autre type d'incident. Aujourd'hui, "le surcoût psychologique devient évident". S'il n'a jamais fait appel à un quelconque dispositif d'aide, il estime cependant que la réponse ne doit pas être uniquement financière, mais qu'elle se situe également dans la capacité à trouver des bergers. "On le sait : le pastoralisme, c'est sept heures de surveillance par jour, et le reste, c'est de la présence. Nous, notre berger approche de la retraite". Et en l'état actuel des choses, pas sûr d'en trouver un qui accepterait de prendre la suite.
Quant aux tirs de prélèvements, "une bête par une bête, aujourd'hui ce n'est plus tenable", affirme Christian Vachier-Moulin, qui se souvient d'un temps où les promesses faisaient état d'une action au-delà du seuil de viabilité du prédateur. "Récemment, ma fille a assisté à une réunion pour discuter de l'avenir du pastoralisme en Luberon. Vu les moyens mis, ça fait mal au cœur de voir des milieux se refermer. Mais même sans donner de délai, il est clair qu'à l'avenir certaines zones ne seront plus pâturées", regrette-t-il.
Var
Quand Gilles Blanc reprend le troupeau d'ovins viande de sa mère en 1988, l'élevage pastoral est synonyme de liberté. Le loup a tout changé. Pour protéger ses brebis, il lui a fallu faire évoluer ses pratiques et apprendre à vivre sous pression.
"Ça prend les tripes de laisser aux loups des coins de colline où mon grand-père menait ses bêtes", se désole Gilles Blanc, éleveur ovin et président de la FDO 83.
© Crédit photo : GL
Installé à Bargème, sur le plateau de Canjuers, Gilles Blanc a d'abord connu le loup dans les Alpes-Maritimes, où il mène chaque année ses 400 brebis mères en estive, au sein d'un groupement pastoral de 1 500 bêtes. "Au départ, quand on en parlait loup, on nous prenait pour des 'jobards'. On nous disait que c'était des chiens", se souvient l'éleveur, qui se forme au tir dès le début des années 90.
Il subit sa première grosse attaque sur ses terres varoises, à la veille de l'an 2000. À l'époque, il ne travaille qu'avec un chien de troupeau. Le loup fait une quinzaine de victimes. "J'ai eu quelques autres attaques depuis, mais ça a été le pire des traumatismes. Avec ma femme, on a cherché les cadavres des brebis pendant deux jours et on n'a pas beaucoup dormi les nuits qui ont suivi. On se dit qu'on peut tout perdre", raconte Gilles Blanc.
Alors, il a fallu s'adapter. Le temps des 'couchades libres' est bien loin désormais. Place aux parcs électrifiés. Les bêtes sont rassemblées chaque soir. "En estive, ça fait beaucoup plus d'érosion autour des cabanes. On essaie de faire des petits lots, pour ne pas surcharger les espaces. Mais il faut plus de parcs, plus de points d'eau, plus de chiens, plus de temps", note Gilles Blanc. "C'est compliqué de rassembler les bêtes, alors il faut compter, tous les jours. Et quand on est pris par les agnelages, ce n'est pas évident. La Maison régionale de l'élevage travaille sur des méthodes de comptage rapides pour essayer de simplifier les choses, mais ce n'est pas simple", poursuit-il.
L'éleveur qui emploie une bergère à temps complet, a aujourd'hui six chiens de protection. "Les meilleurs sont ceux qui ne quittent pas le troupeau et ça, c'est surtout une question d'instinct et de lignée. Et puis, il faut une certaine agressivité. L'idée c'est de créer une meute qui arrive à s'organiser et à se défendre. Mais c'est beaucoup de souci. J'ai une chienne, qui est une très bonne gardienne, mais que je ne prends plus en estive car je sais qu'elle a tendance à pincer les mollets", éclaire Gilles Blanc. "Il faut être très vigilant bien sûr. Mais dans la mesure où on est obligé de se protéger, on demande que l'État engage sa responsabilité quand il y a des incidents avec des chiens", défend le président de la Fédération départementale ovine du Var.
Et les moyens de protection ont leurs limites. Alors il y a des endroits où l'éleveur va moins. "Ça prend les tripes de laisser aux loups des coins de colline où mon grand-père menait ses bêtes. D'autant que ça pose le problème de l'embroussaillement et de la fermeture des milieux. On s'adapte, mais le loup qui s'adapte plus vite que nous, n'attend plus la nuit pour attaquer. On ne peut qu'atténuer les attaques, pas les empêcher", constate Gilles Blanc.
Surcharge de travail et sentiment d'impuissance pèsent lourdement sur le moral. "On ne dort pas, on s'use, on déprime parce qu'on se dit qu'on ne fait pas bien notre boulot. On n'a pas le droit à l'erreur, sous peine de passer pour de mauvais élèves. On est sous pression constante. Et il y a aussi une forme d'isolement. Alors c'est important d'être attentif à ses voisins, de parler, d'alerter si besoin", souligne l'éleveur.
Également lieutenant de louveterie, il insiste sur le rôle des louvetiers auprès de la profession. "Chez nous, ils se déplacent, surtout sur les premières attaques, pour soutenir l'éleveur, voir ce qui peut être fait. Au niveau syndical, on insiste pour qu'il y ait plus d'éleveurs dans les effectifs", indique-t-il. Avant de plaider pour "une véritable régulation. La profession ne veut pas éradiquer le loup, mais il faut davantage prélever quand il y a du dégât", intervient-il.
À 56 ans, l'éleveur envisage de diminuer les agnelages et de prendre des vaches, moins sujettes à la prédation même si le loup s'attaque aux veaux. Mais il ne désespère pas et défend avec passion un métier qu'il aime profondément. "Le plateau de Canjuers est une terre d'élevage. Qu'est-ce qu'on fera ici si on n'a plus les brebis ? On ne doit pas baisser la garde. Il faut aider les jeunes à s'installer, les accompagner. C'est un super métier, qu'on fait dans un cadre magnifique, avec de belles rencontres et de bons produits que les gens apprécient", soutient-il. Avec l'envie de transmettre à son tour son troupeau. "Je crois que mes enfants ont aussi été traumatisés par le loup. Ils se sont désintéressés des moutons en nous voyant galérer. Mais peut-être que les petits-enfants y reviendront", espère Gille Blanc.
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