Initialement dans le tourisme et le commerce, Alexandra Montagard décide, en 2016, de rejoindre l'exploitation de son époux, Nicolas, qui cultive céréales, légumineuses, asperges, tomates et lavandin. "À la même époque, la personne qui s'occupait du suivi post-récolte des asperges a eu des soucis de santé. Plutôt que de tout arrêter, il a encouragé Nicolas à rapatrier l'activité sur l'exploitation, et c'est comme ça que tout a commencé pour moi", se souvient Alexandra.

Son mari, installé depuis 2012, débute la production de céréales avec 42 hectares récupérés à la retraite d'un agriculteur, puis passe à 120 ha lorsqu'un autre suit la même lancée. Aujourd'hui, l'exploitation s'étend sur environ 310 hectares, dispatchés sur une dizaine de communes. "Il y a eu de la restructuration au fur et à mesure, et il y en aura encore. Il vaut mieux mettre en place le système qui convient le mieux à telle ou telle parcelle, plutôt que de chercher à se battre contre la nature", affirme l'agriculteur, soulignant ainsi la pertinence de la polyculture chez lui.

De la parcelle de blé à la casserole de pâtes

Un peu pour plaisanter, le couple se dit que, de toutes ces céréales, ils devraient faire des pâtes. "À force de lire des articles sur le sujet, nous avons rencontré des gens qui se sont lancés, nous ont fait visiter leurs ateliers, se sont livrés sur la réalité économique. Nous avons commencé à envisager le projet", explique Alexandra Montagard. Puis il y a eu la réunion de 'En direct de nos fermes' - association de producteurs qu'elle a participé à créer - à la Chambre d'agriculture de Vaucluse, à l'issue de laquelle on l'encourage à soumettre son projet à l'appel lancé par le Groupe d'action locale Ventoux.

Elle tente le coup... Et ça marche ! "On aurait fini par se lancer, mais être soutenus de cette façon et obtenir des subventions nous a permis d'investir directement dans des outils plus importants, nous permettant d'asseoir la viabilité du projet", explique-t-elle. 'L'âme des champs' pouvait enfin se lancer.

L'entreprise française Astréïa leur fabrique sur-mesure un moulin adapté à la taille de leur atelier, afin de produire des farines. Quatre sont actuellement proposées : blé et petit épeautre, les plus classiques, ainsi que de la farine de pois chiche - pour les recettes méditerranéennes -, et celle de lentille verte, très bon exhausteur de goût et adaptée aux régimes des personnes attentives à leur consommation de gluten. "Ce n'est pas un matériel très technologique. Il n'éclate pas les grains, mais les déroule. Ce procédé permet de garder tous les nutriments des céréales et de faire des farines semi-complètes et riches en son", explique Alexandra.

Côté pâtes, la fabrication du mélange se fait à base de semoule de blé et d'eau dans une extrudeuse, puis la pâte obtenue passe par des moules en bronze, qui lui donnent un aspect texturé appréciable pour l'accroche des sauces.

Parmi les six variétés fabriquées par 'L'âme des champs', ce sont les 'Vélo du Ventoux' qui se démarquent le mieux. "Il y avait une attente de la clientèle sur quelque chose de différent. Et pourtant, le lancement ne correspondait pas à la saison touristique. Même les locaux apprécient. Entre le côté de la forme sympathique, pour soi-même, et l'effet cadeau aux amoureux du vélo, il y avait un clin d'œil au territoire qui valait le coup d'être tenté."

Si environ 10 % de la production céréalière va aux circuits courts - qu'il s'agisse de vente en magasins de producteurs, en supermarchés partenaires ou encore sur le marché de Petit Palais -, le reste part en coopérative. "Il y a une volonté d'émancipation et de réflexion autour de notre stockage. Mais nous apportons toujours en coopérative, car nous n'avons pas la possibilité d'absorber tout ce que nous produisons en transformation", reconnaît Nicolas Montagard. Pas question toutefois de trop augmenter la vente directe et de multiplier les partenaires. "L'objectif est de valoriser au juste prix, plutôt que de tomber dans la massification", poursuit-il.

Pour tous les deux, pouvoir rencontrer les consommateurs satisfaits reste cependant un moment de joie, symbole concret du travail effectué en amont.

Accompagner le développement

Le couple ne compte néanmoins pas en rester là ! 'L'âme des champs' s'apprête à passer son audit pour la certification bio, ce qui devrait permettre l'ouverture à de nouveaux réseaux de commercialisation.

Face à la demande croissante et aux attentes des clients, l'atelier est également en cours de restructuration. "Nous optimisons notamment la logistique et le stockage", révèle Alexandra. Et son mari de compléter : "Sur la partie production, nous avons un salarié à plein temps depuis cinq ans, et nous prenons des saisonniers. Mais, pour la transformation, ce n'est pas évident de mettre les moyens humains lorsqu'on se cherche. Aujourd'hui, et vu le développement à venir, c'est quelque chose que nous allons pouvoir envisager".

L'arrivée prochaine d'une troisième personne, en plus du binôme Montagard, devrait ainsi permettre à l'entreprise de prendre son essor, et d'accélérer la partie recherche et développement. D'autant que de nouveaux projets se profilent.

La remise à Alexandra du Trophée Vaucluse au féminin dans la catégorie agricole, mi-décembre a, entre autres, permis au couple de nouvelles rencontres sur le plan entrepreneurial. "Au-delà du côté satisfaisant de la réception d'un prix, il y a la rencontre avec d'autres femmes qui fonctionnent différemment. C'est bien, car dans ce milieu, comme dans l'agriculture en général, il y a une forme de solitude qu'il fait bon de casser, en se retrouvant avec d'autres", conclut la lauréate. 

Environ 310 hectares sur l'exploitation de Nicolas (tou- tes productions confondues)

10 % des céréales vont à la réalisation des pâtes et fa- rines

4 farines : blé, petit épeau- tre, pois chiche, lentille verte

5 légumineuses : blé, petit épeautre, pois chiche, lentille verte et lentille corail

6 types de pâtes : tagliatelles, coquillettes, 'Vélo du Ventoux', fusilli, radiatori et rigatoni