TRADITIONS TAURINES
Régulièrement pointés du doigt par les opposants de tous poils à certaines pratiques taurines, les éleveurs, manadiers et soutiens de la filière leur répondent tradition, savoir-faire et identité culturelle emblématiques de la Camargue. En somme, la bouvine prépare sa reconnaissance à l'Unesco.
L'ensemble des associations des manadiers et des éleveurs ont répondu à l'appel de l'Union des jeunes de Provence et du Languedoc "pour la défense de nos traditions". Une grande mobilisation est prévue le 11 février à Montpellier.
© Crédit photo : Fédération des manadiers
En novembre 2022, le retrait de la proposition de loi d'Aymeric Caron, visant à abolir la corrida, avait, temporairement, soulagé le monde de la tauromachie, et plus largement, l'ensemble des acteurs impliqués dans la défense des traditions taurines et de l'élevage camarguais. En retirant son projet de texte, le député LFI-Nupes (La France Insoumise - Nouvelle Union populaire écologique et sociale) n'a pas pour autant éteint la grogne des éleveurs et des aficionados.
Alors qu'une tribune publiée dans Le Monde, le 7 janvier, en a rajouté une couche, plaidant pour une "réforme de la bouvine", les fédérations et associations de manadiers et les professionnels taurins montent au créneau pour faire entendre leur voix et leur passion pour les traditions autant que pour leurs bêtes. Ce nouveau "pavé" dans la mare médiatique aura eu le mérite de mobiliser la filière, au moment où l'association 'Gens de bouvine' est en passe de transmettre son dossier au ministère de la Culture, en vue d'une reconnaissance des patrimoines culturels immatériels de l'Unesco de ces pratiques et savoir-faire. Soutenus par de nombreux élus locaux et des parlementaires, des deux côtés du delta du Rhône, les manadiers et éleveurs prévoient de défiler à l'unisson le 11 février, à Montpellier.
"On ne réforme pas un art de vivre ! C'est une identité culturelle ancrée dans le temps et dans l'histoire." Pour Florent Lupi-Chapelle, gérant de la manade Chapelle, à Saint-Martin-de-Crau, "ce que l'on pressentait depuis des années se réalise", réagissant à la tribune du Monde, signée par des personnalités politiques (Julien Bayou, Europe Écologie Les Verts) et des associations animalistes. "C'est dans le prolongement du mouvement vegan. Ce sont toujours les mêmes personnes qui s'expriment", estime le président de l'association PCI Camargue Unesco. Fustigeant les amalgames plus ou moins sciemment avancés par les pourfendeurs de certaines pratiques jugées "archaïques" provoquant des "souffrances animales", le manadier dénonce une "tyrannie des minorités" qui mélangent élevage extensif et intensif, par pure idéologie ou méconnaissance. "Nous n'avons pas à faire le tri. Pour eux, monter à cheval n'est déjà pas possible. Leur théorie, c'est l'anthropocentrisme, à savoir, mettre au même niveau de conscience l'animal et l'humain." À l'état sauvage, l'animal vit selon une hiérarchie naturelle, ne laissant guère de place à celui qui ne saura résister au sein du troupeau. L'intervention de l'homme, en conditions extensives, contribue au respect animal, explique-t-il. "Ce ne sont pas des animaux domestiques."
Dans le viseur de ces associations, au même titre que les vidéos "choc" diffusées par L 214 dans certains abattoirs, c'est "la dissolution de toute forme d'abattage" qui prévaut, poursuit Florent Lupi-Chapelle, conscient que certaines pra-tiques sont à améliorer. Mais s'il se félicite que la proposition de loi Caron n'ait pas abouti, il n'est pas superflu de rappeler que "tous les éleveurs travaillent selon les mêmes conditions d'élevage", que ce soit pour la Race di Biou, destinée aux courses camarguaises, et pour les taureaux dévoués à la tauromachie. "Ceux qui disent le contraire sont des hypocrites."
Au "diktat de la pensée" promu par les associations animalistes, Florent Lupi-Chapelle oppose cette tradition de terre de Camargue qui procure à l'animal son caractère. "Empreint de sauvagerie", le taureau s'inscrit dans un ensemble de traditions et de conduite d'élevage, à mi-chemin entre écologie, biodiversité, mais aussi vectrices de retombées économiques pour tout un territoire.
"Tout a un sens dans notre élevage", soutient le manadier. "La ferrade (marquage au fer rouge des taureaux et des chevaux, ndlr) a un sens, car les taureaux ont besoin d'être reconnus. C'est notre seul moyen de préserver la race." Et à celles et ceux qui s'indignent de certaines pratiques dénoncées comme des gestes de "mutilation" causes de souffrance, l'éleveur soutient que les conditions se sont nettement améliorées depuis 50 ans. À l'image de la castration des jeunes taureaux dans les manades. "Elle se pratique par anesthésie locale, avec intervention d'un vétérinaire, en dehors, peut-être, de cas particuliers", précise-t-il.
Concernant le suivi sanitaire des cheptels, là aussi, les pratiques ont évolué, notamment pour endiguer la tuberculose, qui pouvait parfois conduire à l'abattage de troupeaux entiers. Par la mobilisation de la profession, et des contrôles sanguins renforcés, l'assainissement des troupeaux a permis de débarrasser les manades de la maladie infectieuse, alors que la tuberculose "revient dans d'autres régions".
Afin de contrecarrer les accusations "infondées" de gens "qui ne mettent pas un pied dans nos élevages", ne serait-ce que pour constater les progrès réalisés, l'association 'Gens de bouvine' œuvre, depuis 2018, à la reconnaissance des pratiques et des savoir-faire comme patrimoines culturels immatériels à l'Unesco. En collaboration avec tous les acteurs de la bouvine, et des partenaires espagnols du delta de l'Ebre, et du delta du Pô en Italie, aux écosystèmes similaires à celui de la Camargue, l'association veut rassembler au-delà des manadiers, en accueillant des félibres, des razeteurs, des ethnologues, les éleveurs de chevaux ou le syndicat des riziculteurs. L'ensemble des partenaires, comme la Fédération des manadiers et les associations taurines, appuient cette démarche, en phase de finalisation.
Soutenue par le Centre du Scamandre, le centre de recherche de la Tour du Valat, ou encore par l'anthropologue Frédéric Saumade, ainsi que des élus locaux, l'initiative portée par l'association consiste, pour chaque pays, à voir son dossier validé par le ministère de la Culture, avant que la candidature de reconnaissance soit validée par l'Unesco. "Nous disposons de tous les éléments pour présenter le dossier courant 2023", annonce Florent Lupi-Chapelle. Cette ultime étape fait suite à l'inauguration d'un Comité scientifique en 2022 qui avait compilé toutes les caractéristiques économiques, ethnologiques et de biodiversité des pratiques taurines, pour conférer "plus de force et de clarté" à la démarche. Commune, cette candidature avec les homologues espagnols et italiens n'en sera que plus efficace et pèsera davantage auprès des instances. Les éleveurs ibères sont d'ailleurs à nouveau conviés au salon Camagri, aux Saintes-Marie-de-la-Mer, en février.
Quant à la reconnaissance espérée de l'Unesco, elle sera censée "amener de la lumière, accroître le partage et la préservation de notre culture, tout en conservant son caractère vivant et transmissible", souhaite le président. Le mot d'ordre sera sans doute le même lors de la mobilisation montpelliéraine du 11 février. Car, comme insiste Florent Lupi-Chapelle, "au-delà de la culture, c'est l'élevage en général qui est concerné".
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