France 24/02/2023
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ARBORICULTURE

Ils en ont gros sur la patate

Arles accueillait la 76e édition du congrès de la Fédération nationale des producteurs de fruits, jeudi et vendredi derniers.

Malmenés par la baisse du pouvoir d'achat, l'inflation et en pleine discussion sur le futur Plan de souveraineté agricole, quelles sont les marges de manœuvre des arboriculteurs face à la baisse de consommation ?

Olivier Dauvers, journaliste, Luc Barbier, secrétaire général de la FNPFruits, et Éric Birlouez, sociologue, animaient la table ronde sur les leviers à activer pour la filière arboricole, en pleine inflation.

© Crédit photo : CZ

Tous ces efforts qualitatifs et certificatifs étaient-ils donc vains, face au mur que sont en train de se prendre les arboriculteurs ? Comment conserver et augmenter la valeur de la production française tout en dynamisant une consommation en berne ? Pour répondre à cette question sans doute sans réponse unique, Éric Birlouez, sociologue, Luc Barbier, arboriculteur, et Olivier Dauvers, journaliste. À chacun une part de réponse, pas toujours plaisante à entendre. "Cette déconsommation n'est pas surprenante, elle était même attendue : le consommateur traque les promotions, les prix les moins chers, différencie ses lieux d'achat et accélère sur sa prise de conscience en hiérarchisant achats utiles, achats futiles", pose en préambule Éric Birlouez.

Végétalisation et consommation des jeunes

Cela remet-il en cause les stratégies de la filière arbo ? "Oui et non", répond le sociologue, conscient cependant d'une chose : le prix est aujourd'hui le premier critère d'achat. "On a DES consommateurs : un pour qui le prix reste la seule variable et qui ne peut pas faire autrement ; un qui a le pouvoir d'achat et la capacité à réaliser son vouloir d'achat ; et un autre qui n'a pas d'attentes particulières au niveau de son alimentation. La population est fragmentée, et la ligne de fracture est celle du pouvoir d'achat, qui se télescope avec le vouloir d'achat. Dans ce cadre, la segmentation de la gamme est une première réponse."

Mais, pour le sociologue, guerre en Ukraine et inflation n'ont fait que mettre en exergue des tendances déjà présentes, à commencer par la végétalisation de l'assiette. Et là, "les fruits ont de réels atouts à mettre en avant. Il vous faut aussi surveiller la consommation des jeunes, nés avec la campagne 'au moins cinq fruits et légumes par jour', tout en sachant qu'il n'existe pas une seule jeunesse, et qu'une part d'entre-deux souhaite donner du sens à son alimentation". Mais pour Éric Birlouez, dans cette société en quête de sens, il est plus que temps d'accepter "de payer son alimentation à son juste prix, et de trouver des solutions pour ceux qui sont en difficulté".

Frustration et réassurance

Pour le journaliste Olivier Dauvers, un mot résume à lui seul la situation actuelle : "Frustration, car on ne peut pas tout ce que l'on veut". Pour lui, pas de baisse du pouvoir d'achat, mais un sentiment de baisse du pouvoir d'achat. "Et quand on est frustré, on met tout en concurrence avec tout. Ce qui revient à dire que l'on doit arbitrer notre porte-monnaie entre des produits qui n'ont rien à voir entre eux."

De fait, l'arbitrage va alors prendre différentes formes. "On va là où les euros ont le plus d'effet. On n'est pas dans une crise de la consommation, on donne plus de valeur à ce que l'on achète, avec une obsession de la valeur des euros dépensés. Et que cela plaise ou non, le prix est un levier, et il faut l'entendre."

Après le prix, le levier de création de valeur est celui de la réassurance, basé sur les circuits et les types de produits. "La qualité, la prime au spécialiste embarque le consommateur par principe et donc, crée de la valeur." Le signe de qualité et la réassurance supposée, comme le local ou l'origine, génèrent dans l'esprit du consommateur une valeur supérieure, réelle ou rêvée. La preuve ? La démarche 'C'est qui le patron' sur le lait, vendu 30 % plus cher : "Les consommateurs ont compris le lien entre prix du lait et son effet sur l'exploitation et les éleveurs. Leur achat prend sens".

Marqueter, communiquer, s'organiser

Auditeur attentif, Luc Barbier - arboriculteur et secrétaire général de la FNPFruits - a patiemment écouté les deux protagonistes, non sans parfois hocher la tête, de contentement ou non. "En tant qu'arboriculteur, ma vision du marché peut différer de la vôtre", lance-t-il. "Déjà, quoi qu'on en dise, on ne peut pas s'extraire du fait que nous sommes sur un marché européen voire mondial" pose-t-il. Ensuite, il fait l'amer constat d'un abandon de souveraineté par la filière elle-même : "On a délégué au commerce la capacité de parler de nos produits. C'est une erreur fondamentale : nous devons nous réapproprier la communication sur ce que nous produisons : on marquette quoi ? On communique comment ? Quelle valeur donne-t-on à nos "fruits ?"

Deuxième point d'importance à reprendre pour le producteur : le Plan national nutrition santé (PNNS), qui ne fait pas rêver. "L'obligation de consommer n'est pas porteuse. Il faut remettre de la sincérité dans la promesse que l'on offre. Pas ordonner de consommer." Enfin, martingale de la filière fruits et légumes française : son organisation. Selon le Lorrain, il faut concentrer l'offre. "Dans certains secteurs, on a une organisation du marché qui fonctionne, pour d'autres, moins. Nous ne devons pas nous laisser imposer une organisation de marché par d'autres qui n'ont pas les mêmes intérêts que nous."

Plantant pour 20-25 ans, l'arboriculteur a besoin de perspective. "Oui, il faut réfléchir à la végétalisation de l'assiette", reprend Luc Barbier. "Notre filière a de l'avenir, soyons-en sûrs. Mais on doit marqueter, communiquer et s'organiser, sans rien attendre des autres et se prendre en main, pour atténuer ce cadre réglementaire inadapté, ces promesses politiques non tenues, cette psycho- frénésie des décideurs. Si certains produits sont dangereux chez nous, ils sont dangereux partout et on ne doit plus les laisser circuler."

S'en suit alors un débat actif avec les arboriculteurs présents dans la salle. S'organiser, communiquer, donner du sens à l'alimentation, éduquer les jeunes, remettre de la loyauté dans les échanges commerciaux... Tous en conviennent, les dossiers sont lourds et vitaux pour une filière dont l'âge moyen des arboriculteurs est désormais de 55 ans. La frustration évoquée par Olivier Dauvers chez le consommateur est bel et bien présente aussi chez les producteurs, à l'image de leur emblématique présidente Françoise Roch, qui a conclu les travaux la voix pleine d'émotions.

"Gravissime"

C'est en effet avec un grand soupir que Françoise Roch a entamé son discours. "Compliqué." Le premier mot sort difficilement. "Sur le terrain, la situation est gravissime. Gravissime est la perte de moyens liée à une politique qui n'amène que perte de visibilité. On a perdu la moutarde. Deux jours aux actualités. Quand le Canada a un souci de production, plus de moutarde dans les étals français. Et ce n'est que le début", citant pêle-mêle la betterave et la cerise dans la même situation aujourd'hui, les fruits à pépins demain, et plaidant pour "pas d'interdiction sans solution", un message pourtant martelé par le président de la République repris par les ministres de l'Agriculture. "On a l'impression que la France ne veut plus de nous : plan pollinisateur, loi Agec, création de l'Office français de la biodiversité... En 30 ans, on n'a fait que progresser dans nos pratiques, et désormais, on nous envoie la police armée dans nos exploitations, quand on ne passe pas au tribunal. Cette judiciarisation devient impossible", martèle la présidence.

Revenant sur une année 2022 difficile à plus d'un titre, elle fustige la méthode gouvernementale en cours. "Je vous le confirme, les corps intermédiaires ne sont pas entendus." Certes, l'assurance multirisque climatique est une avancée. "C'est même la FNPFruits qui a porté ce sujet à la FNSEA. Mais 2023 devait être une année de démarrage. Et c'est un fiasco total." En cause ? Un cadre "fait à l'arrache pour le secteur arboricole. Nous avions demandé un an de plus et, encore une fois, nous n'avons pas été entendus. Si jamais on a un coup dur cette année, cela va être compliqué. Dépêchez-vous : soyez au minimum des contrats, mais soyez !".

Revenant sur les difficultés actuelles du marché bio, elle concède volontiers que les producteurs "ont confondu demande sociétale et acte d'achat", les fameux 'pouvoir' et 'vouloir' d'achat mis en avant par Éric Birlouez quelques minutes avant. "Nos politiques doivent comprendre que la France n'est pas dans une bulle comme le pensent les écolos. On a choisi un système libéral, de concurrence et ce système économique nous oblige à faire attention à nos marges, à accéder à tous les marchés, et ce n'est pas sale de penser export", souligne-t-elle encore.

De fait, malgré les inquiétudes pesant sur le Plan stratégique national (PSN, lire ci-contre), "à la FNPFruits, à Interfel, on a envie d'y croire. Il faut que l'État soutienne la filière fruits et légumes, que nous soyons reconnus d'utilité publique, et soutenus". Le PSN devrait être présenté à l'occasion du Salon international de l'agriculture, qui ouvre ses portes ce week-end, alors qu'une réunion se tenait encore ce jeudi 23 février, en présence du ministre de l'Agriculture. 

Céline Zambujo •

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