France 11/03/2022
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PRESIDENTIELLE

"La question agricole est revenue sur le devant de la scène"

À l'approche de l'élection présidentielle, le sociologue François Purseigle, professeur des universités à l'INP et à l'Ensat de Toulouse, décrypte pour nous l'électorat agricole, ses attentes, ainsi que la vision qu'ont les candidats en lice de l'agriculture.

François Purseigle : "Paradoxalement, on observe le retour en force de la question agricole au moment même où ceux qui sont censés l'incarner sont de moins en moins nombreux. De ce fait, les agriculteurs restent un enjeu fort sur le plan politique."

© Crédit photo : DR

Que représente aujourd'hui l'électorat agricole en France ?

François Purseigle : "L'électorat agricole représente, aujourd'hui, une force sociale et politique qui ne fait plus forcément écho au seul poids démographique de sa population à l'échelle de l'exploitation. La population agricole représente actuellement 1 à 1,5 % du corps électoral français. Une fois cela dit, il ne faut pas oublier qu'il y a également des retraités de l'agriculture et des salariés agricoles. 

En tenant compte de cette diversité du monde agricole, et si l'on retient, par exemple, le nombre de ressortissants retraités et salariés de la MSA, on atteint alors 7 à 9 % du corps électoral. Mais cela ne signifie pas pour autant que les retraités et les salariés de la production agricole votent comme les chefs d'exploitation. Il faut aussi ajouter les 500 000 emplois de l'industrie agroalimentaire. Certes, il s'agit là d'une population essentiellement ouvrière, dont le vote ne s'apparente pas forcément non plus à celui des chefs d'exploitation, mais dont l'avenir des structures industrielles dans lesquelles ils œuvrent est souvent lié aux propositions agricoles des différents candidats. 

Enfin, il ne faut pas non plus oublier que de nombreuses marques agroalimentaires sont possédées par des groupes coopératifs. Il faut donc bien garder à l'esprit que le monde agricole est pluriel. C'est de ce fait un électorat plus composite qu'il ne paraît. Et s'il est composé d'une multitude de catégories d'acteurs, toutes sont, en revanche, très attentives au traitement de la question agricole par les politiques."

L'électoral agricole a-t-il encore du poids malgré la diminution de sa population au fil des décennies ?

F. P. : "Si l'on peut admettre que l'effacement démographique constitue une fragilité, malgré tout, cette population demeure détentrice d'une force qui est incarnée par les organisations professionnelles agricoles et les institutions qu'elle a pu créer. D'ailleurs, si les politiques viennent au salon, c'est aussi pour cette raison-là."

Est-ce la seule raison pour laquelle le SIA est un passage obligé pour les candidats en lice à la présidentielle ou cela fait-il aussi partie d'un rituel ancré dans les us et coutumes de la vie politique française ?

F. P. : "J'ai l'habitude de dire que c'est pour trois raisons. Les politiques y viennent parce qu'ils veulent s'adresser à cette population qui est confrontée à des incertitudes, des crises sanitaires, environnementales et économiques. Et d'autant plus que c'est une population qui porte des enjeux économiques et stratégiques pour le pays.

La deuxième raison, c'est une population à laquelle les Français sont attachés, car ils se pensent tous plus ou moins issus du monde agricole, même s'ils sont amnésiques de ses évolutions. C'est donc un coup à deux bandes pour les politiques, car en s'adressant aux agriculteurs, ils s'adressent aussi au reste de la population. On peut considérer également qu'un certain nombre d'électeurs sont sensibles à la façon avec laquelle le politique va apporter des réponses à la profession agricole.

La troisième raison est que le salon est une caisse de résonance médiatique importante pour les politiques. En plus, ces derniers aiment y venir, car ils sont dans un face-à-face direct, certes qui peut déraper, comme on l'a vu avec Nicolas Sarkozy. Cela reste un moment très particulier, où les joutes ne sont pas absentes.

Pour ce qui est du rituel, il ne faut pas oublier que les salons se sont structurés à la fin du XIXe siècle. On y voit l'accomplissement du travail des agriculteurs et on y célèbre les paysans. Cela appartient donc à la culture agricole. Pour les politiques, le rite consiste à se frotter à cette population. Et c'est dans un espace médiatique comme celui-ci que se joue aussi une certaine prise de température en termes d'applaudimètre. Ce qui permet aussi aux politiques de percevoir la manière dont les agriculteurs les appréhendent. C'est là qu'ils peuvent vraiment sentir les choses, au-delà des sondages." 

Quelles sont les attentes des agriculteurs en cette période électorale ?

F. P. : "Les attentes sont fortes en termes de revenu, mais aussi d'accompagnement dans les projets entrepreneuriaux qui sont les leurs, et ils sont multiples. Par ailleurs, ils ont des attentes qui ne relèvent pas toutes du politique, par exemple, en matière de réorganisation de leur structure d'exploitation, d'optimisation des ressources, de recours à la main-d'œuvre, de formation, de transmission des exploitations, etc. Or, cela on n'en parle pas souvent." 

À ce propos, pensez-vous que les candidats, au regard de leur programme, ont une vision claire et réaliste de l'agriculture ?

F. P. : "Force est de constater que les candidats n'ont pas de vision claire sur la pluralité des situations et la vie économique qui caractérisent le monde agricole. Ils passent totalement à côté de ce que sont les entreprises agricoles dans leur modernité, comme du nécessaire projet transformant de cette profession, qui appelle à assumer de nouvelles fonctions dans la société. Je suis, de fait, assez frappé de constater que l'entreprise est souvent absente des discours des politiques, qui assignent, au demeurant, les agriculteurs dans une condition qui n'est plus la leur, et qui ont tendance à les réduire à une image d'Épinal. Je trouve aussi qu'ils les infantilisent très souvent au moment des campagnes électorales. 

Ils n'ont pas compris que les agriculteurs attendent des réponses à des questions qui sont celles d'entrepreneurs. De même, les politiques ont tendance à considérer qu'ils font face à un monde agricole homogène, pour lequel des solutions identiques sont applicables, ce qui n'est pas du tout le cas. Ils ne perçoivent pas plus que le secteur agricole devient un secteur comme les autres, même s'il a ses singularités."

Pourquoi cette vision des politiques est-elle si décalée de la réalité du monde agricole ?

F. P. : "Je pense que cela résulte du fait qu'ils sont de moins en moins socialisés aux mondes agricoles et aux territoires ruraux. Rares sont ceux qui ont fait leurs classes dans ces territoires. Ce qui faisait la force, par exemple, d'un Jacques Chirac, et d'autres élus de sa génération, qui n'avaient pas coupé le fil avec eux. 

Or, paradoxalement, on observe le retour en force de la question agricole au moment même où ceux qui sont censés la porter disparaissent. De ce fait, les agriculteurs restent un enjeu fort sur le plan politique."

Avez-vous repéré d'autres manques dans leurs discours respectifs, et quels sont les éléments qui font consensus dans leur programme ?

F. P. : "Le thème de la souveraineté alimentaire revient dans tous les discours, ainsi que la question du revenu. Un autre point commun, défendu par tous, et qui était absent lors de la précédente élection présidentielle, est la question de l'innovation, qu'ils souhaitent promouvoir dans toutes les exploitations agricoles.

En ce qui concerne les manques, la grande absente, comme je le disais précédemment, c'est l'entreprise et toutes les attentes qu'ont les agriculteurs autour d'elle. Je dirais même que l'entreprise est un impensé du programme agricole de tous les candidats. Ces derniers sont aussi très légers sur les problématiques liées à la formation et à la montée en compétences des salariés dans les exploitations agricoles. Force est de constater qu'il y a un manque d'ambition autour de la question agricole, alors qu'elle est revenue sur le devant la scène."

Propos recueillis par Florence Guilhem •

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