Monde 16/09/2022
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FRET MARITIME 

"La chaîne viti-vinicole doit profiter de la reprise"

Après deux ans de crise du transport mondial des vins et spiritueux par les mers, un retour à la régulation du marché est envisageable pour Thomas Sammarcelli, manager France chez VinLog, filiale de transport et logistique de boissons du groupe Kuehne + Nagel. 

Thomas Sammarcelli : "Aujourd'hui, les tendances s'inversent dans le fret maritime. Il va y avoir de la place sur les navires et les prix vont commencer à baisser."

© Crédit photo : VinLog - Kuehne + Nagel

L'après-Covid et la crise ukrainienne ont aussi perturbé le marché mondial du transport de vins. Quelles répercussions sont à craindre sur l'import/export ? 

Thomas Sammarcelli : "Entre l'inflation et la sortie du Covid, la consommation en France a été en berne cet été, tous biens confondus. D'après nos prévisions, avec la guerre en Ukraine qui continue et la crise énergétique à venir, nous nous attendons à une baisse de l'ordre de 20 à 30 % sur la fin de l'année et le premier semestre 2023. L'impact sur la logistique et le transport est fort.  Les retailers (distributeurs, ndlr) ont stocké tout ce qu'ils pouvaient il y a 18 mois, et les vins ne s'écoulant plus, ils ont arrêté de commander et d'importer. Il y a encore quelques mois, les acheteurs de vin en Amérique du Nord achetaient coûte que coûte, car c'était une guerre à l'espace et non au coût. Conséquence, ils ont vu le prix augmenter de 25 % en raison de la hausse des coûts intermédiaires (stockage) et des frais de transport." 

Entre la saturation des ports, la menace d'une grève des manutentionnaires en Californie, la hausse du prix du fuel rendant plus cher l'espace dans les conteneurs, les échanges mondiaux ont vacillé, disiez-vous en juin. En est-il toujours de même, et dans quelles mesures ? 

T.S. : "Si aucun événement majeur ne survient, la situation devrait revenir plus ou moins à la normale d'ici six mois. Quant au risque d'une grève dans les ports californiens, qui aurait été catastrophique pour nos exportations, un accord a été trouvé cet été. À ce jour, 10 millions de conteneurs attendent dans, et au large, des ports. C'est un volume élevé alors que le taux normal est de 3 millions, mais ce n'est pas alarmant. Le niveau décroît.  Aujourd'hui, les tendances s'inversent dans le fret maritime. Il va y avoir de la place sur les navires et les prix vont commencer à baisser. Depuis mai, certains taux de fret ont baissé de 50 %, ou de 30 % comme sur l'axe Le Havre/Shangaï. On va faire face à une sorte d'affolement avant la régulation, se dirigeant vers une guerre commerciale tarifaire et non plus d'espace, ce qui va favoriser les exportations."  

À quel type de guerre commerciale faut-il s'attendre ?

T.S. : "Actuellement, les acteurs du marché se regardent un peu dans les yeux, mais comment vont réagir les chargeurs face aux armateurs, au vu des contrats validés il y a un an et demi ? Si les taux de fret vont trouver une stabilité, la période va être propice aux exportateurs pour les expéditions de Noël et du Nouvel an chinois. De même, la parité entre le dollar et l'euro est favorable aux exportations. Des marchandises parties il y a six mois sont aujourd'hui moins chères de plus ou moins 25 %. De nouvelles opportunités sont à saisir pour les viticulteurs, afin de prendre des parts de marché à l'export. Il faut être persuasif avec les clients, sur un marché agressif. Mais le contexte international reste chaotique, en pleine guerre en Ukraine."

D'autres conséquences du con-flit en Ukraine pèsent-elles lourd sur le secteur ? 

T.S. : "Le problème majeur pour les viticulteurs n'est pas tant le transport maritime que de trouver du verre, extrêmement énergivore. C'est une industrie à flux tendu, avec des pôles en Ukraine, ce qui entraîne une rupture, avec une hausse du prix du verre devenu cher et difficile à trouver."

"On va vers une guerre commerciale tarifaire et non plus d'espace, ce qui va favoriser les exportations."

Outre la hausse des coûts de l'énergie (+ 20 à 25 %), la main-d'œuvre risque aussi de poser problème dans le secteur ? 

T.S. : "Le manque de main-d'œuvre global, en Europe et aux États-Unis, dans les transports et le personnel navigant, laisse craindre des tensions. Du vignoble au port, nous serons confrontés à cette question dans les mois et les années à venir. Aurons-nous la capacité d'embaucher des transporteurs, des chauffeurs routiers ? On craint des grèves des transporteurs ferroviaires, surtout aux États-Unis, où le réseau n'est pas au niveau. De plus, tous les pays ne sont pas adaptés au transport de conteneurs sur trains."

En deux ans, le coût d'un conteneur (240 hl équivalent vrac) est passé de 3 000 $ à 18 000 $. Les prix ont-ils dégonflé depuis ? 

T.S. : "Aujourd'hui, le coût d'un conteneur de 240 hl est d'environ 10 000 $, en tenant compte des différences de prix entre les pays (France, Maroc, Chine...)."

Les nouvelles obligations en matière de réduction d'empreinte carbone, que la grande distribution va porter, vont-elles rebattre les cartes du fret maritime ? 

T.S. : "Il va falloir sortir du système de transport pendulaire habituel d'un port à un autre, Le Havre/Hong Kong/Shangaï, par exemple. Et adapter les bateaux aux normes IMO 2023 (adoptées par l'OMI, Organisation maritime internationale, ndlr). Cela va impliquer de réduire la capacité d'embarquer des conteneurs, et malgré l'effet de baisse du coût du fret, il faudra équilibrer l'offre et la demande.  Cette contrainte viendra des ports qui n'accepteront plus les navires qui ne seront pas aux normes, à l'instar de l'axe Auckland/Los Angeles. Les ports majeurs en Europe et aux États-Unis s'y sont déjà mis. Mais il faut être réaliste : on ne va pas passer comme cela du tout fuel au biocarburant, bien que toute la chaîne logistique s'y dirige. Il en va de notre avenir à tous.  D'ailleurs, Kuehne + Nagel va sponsoriser un bateau du 'Vendée Globe' pour mener une étude sur le CO2 relevé dans les eaux." 

Peut-on espérer une reprise prochaine plus porteuse pour la filière viti-vinicole ?

T.S. : "Chez Kuehne + Nagel, nous disposons d'outils prédictifs capables d'estimer le temps d'arrivée presque en temps réel, d'après les données fournies par les armateurs. Le monde est tellement incertain que la digitalisation des informations est une clé. Dans les six mois à venir, le transport ne me semble pas problématique, à moins qu'une crise majeure ne survienne. Mais une grève du rail aux États-Unis serait problématique, tout comme l'inflation dans l'Union européenne ou la perspective de mouvements sociaux...  Quant aux exportations, qui ont repris de + 14 % au premier semestre, la parité euro/dollar peut y être propice. Reste à savoir si la baisse des taux de fret attendue, favorable aux vignerons exportateurs, compensera les risques du contexte international, la consommation de la Chine n'étant pas excellente. Mais grâce au coût de transport avantageux, la chaîne viti-vinicole doit profiter de la reprise du marché. Face à la concurrence étrangère, comme celle du Chili, il est temps de montrer aux pays historiques importateurs de vin français, tels la Chine, le Japon et les États-Unis, que nous sommes de retour." W

Propos recueillis par Philippe Douteau •

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Le transport à la voile vers les États-Unis 

La division des vins et spiritueux de Kuehne + Nagel, VinLog, met au point un mode de transport, non pas nouveau en soi, mais d'un genre inédit pour le transport des cargaisons au XXIe siècle. Toujours via les mers, le groupe prévoit d'intégrer le transport "à voile" à la chaîne logistique, à destination des États-Unis. Un nouveau souffle pour le fret, sur un mode de transport remis au goût du jour, notamment pour les clients en agriculture biologique, soucieux de leur empreinte carbone. 

"Pour consommer moins de fuel, les navires iront moins vite", selon des places limitées fixées par "des contrats avec des chargeurs de vins et spiritueux, et gardées pour des petits exportateurs", présente Thomas Sammarcelli. Une centaine de conteneurs transiteront ainsi tous les 15 jours, sur l'axe Europe du Nord et côte Est des États-Unis, à l'horizon 2025. 

Philippe Douteau •

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